• VIX low, trust high : volatilité minimale, confiance maximale ?

News |

VIX low, trust high : volatilité minimale, confiance maximale ?

Article publié en mars 2018 dans Revue Banque n°818
Olivier Dupin, Partner Ares & Co Strategy Consulting
Xavier Lasserre, Senior Consultant Ares & Co Strategy Consulting
Mehdi Messaoudi, Chief Operating Officer Ares & Co Strategy Consulting

VIX low, trust high : volatilité minimale, confiance maximale ?

Si la confiance semble largement partagée sur les marchés financiers, la situation économique et financière est loin d’être stabilisée. Une très grande incertitude prévaut sur l’évolution de la politique de la BCE dont les décisions de politique monétaire (taux, QE) semblent en grand en décalage avec ses exigences de superviseur.

Comment sortir de cette situation contradictoire ? Quels sont les scénarios possibles et les implications pour les banques ?

3 janvier 2018 : le fameux VIX, ou « indice de la peur », est autour de 9%, soit un de ses plus bas niveaux depuis un quart de siècle. Cette situation n’est pas sans rappeler celle de 2006 qui précédait la crise survenue pendant l’été 2007. Mais cette fois-ci, l’indice est descendu encore plus bas. Un tel plancher pour cet indice de volatilité indique un niveau de confiance des marchés dans l’avenir quasi radieux. Ce n’était pourtant pas gagné il y a un an au moment où l’incertitude pesait, dans le contexte des pré-élections américaines ou juste après. Les conflits armés et autres agendas géopolitiques semblent avoir perdu toute prise sur cette euphorie mondiale proche de la béatitude.

Derrière cet indicateur avancé, que peut-on facialement observer ? Des bourses, notamment américaines, qui battent des records, un retour à la croissance un peu partout dans le monde. Bref, tous les voyants sont au vert du point de vue des investisseurs. Vraiment ?

Le 3 février 2018, le Sénat américain confirme la nomination du nouveau Président de la FED. Dans la foulée la bourse américaine dévisse, le VIX sort de sa léthargie explosant à plus de 50 et les taux d’emprunt atteignent leur plus haut niveau depuis janvier 2014. Ces secousses illustrent un changement fondamental : la politique ultra-accommodante des banques centrales qui ont conduit les taux au plus bas est sans doute en train de s’achever.

Une situation structurelle paradoxale

Ces indicateurs au vert devraient à première vue nous rassurer. Or, deux facteurs à l’oeuvre depuis longtemps devraient en réalité préoccuper les marchés. Décorrélation maximale entre richesse réelle et capitalisation boursière. Au quatrième trimestre 2017, la capitalisation boursière mondiale se situait autour de 90 trillions de dollars, soit environ 115% du PIB mondial. Un record, voire un seuil d’alerte pour certains. Sur les 40 dernières années, le PIB des Etats-Unis a triplé. Dans le même temps, la capitalisation de l’indice boursier S&P 500 a été multipliée par quasiment 30. La décorrélation entre valorisation et création de valeur est encore plus patente dans l’économie digitale : le cours de Tesla a augmenté de moitié en 2017 ; le constructeur brûle pourtant 8 000 dollars de cash par minute. De là à rappeler le syndrome de la bulle Internet…

Un « piège de la dette » désormais inextricable ? Le niveau d’endettement reste un point majeur de vigilance et le premier potentiel facteur de perturbation. Au quatrième trimestre 2017, l’endettement mondial total (Etats, entreprises, ménages) atteignait 318% du PIB, alertait l’Institute of International Finance (278% en 2007). Les banques centrales se sont piégées elles-mêmes en inondant les marchés de liquidités pour faire revenir la confiance à tout prix. Voici la BCE alourdie massivement d’obligations financières : la taille de son bilan (4 500 milliards de dollars) la place devant la FED américaine et la BoJ japonaise. Son niveau d’endettement la rend dépendante des marchés financiers. Il faut voir ici la conséquence directe de conditions de financement exceptionnellement artificielles, et ce pour trois raisons : taux, volume et durée.

Taux d’intérêt et taux de change ne sont plus à prix de marché car maintenus artificiellement bas, notamment en Europe pour rendre maîtrisable les intérêts des dettes explosives des pays les plus fragiles ou PIGS1. Conséquence, les taux des pays économiquement sains sont négatifs étant donnés des écarts (« spreads ») autour de 2% entre l’Allemagne et le Portugal par exemple. Aux Etats-Unis, la FED a maintenu son taux de refinancement à moins de 1% entre 2009 et 2015. Sur cette période, la croissance moyenne du PIB s’établissait autour de 1,5% et l’inflation quasiment au même niveau (1,4%). Après une période exceptionnellement longue, quasiment 10 ans, la FED relevait son taux directeur en décembre 2015 et continue aujourd’hui prudemment dans cette direction. La BCE, on le sait, maintient le statu quo. Si l’on considère que le taux est censé refléter l’appréciation du risque, les taux zéro ou négatifs en Europe signifient que le futur à court terme est considéré plus certain (donc moins risqué) que le présent : un paradoxe majeur à la limite de l’aveuglement — n’aurions-nous rien appris des crises passées ?

Un gonflement artificiel de la valeur des actifs. Les banques commerciales, en octroyant massivement des crédits, ont fait augmenter la masse monétaire en circulation. Mais le système se heurte à deux écueils majeurs : les types de clients réellement endettés sont les ménages d’un côté et les Etats de l’autre. Au milieu, les entreprises, historiquement les plus gros emprunteurs, ont reconstitué leurs réserves de cash. Conséquence, les banques « ne savent plus » comment allouer (c’est-à-dire, à qui prêter) un argent abondant et quasi gratuit, mais qui ne sera pas rémunéré à la hauteur du risque d’investissement. In fine, l’argent mis en circulation finance de moins en moins directement une économie réelle dont le Risk-adjusted return est défavorable. Il est de plus en plus alloué à des fonds et génère plusieurs bulles qui gonflent dangereusement (dettes étatiques, private equity, dette corporate high yield, immobilier, crypto-monnaies). L’effet de levier joue à plein.

La durée demeure sans aucun doute un facteur d’inconnue majeur. En théorie macroéconomique, les « armes » des banques centrales (politique de taux et injection de liquidités) devraient être des instruments d’intervention ponctuelle, visant à ramener la confiance sur les marchés et à stimuler l’économie. Face à l’ampleur de la crise de 2008, à la frilosité des investisseurs et à l’anémie de l’économie réelle, les remèdes exceptionnels sont devenus une habitude, et ce depuis bientôt dix ans ! Pendant ces dix ans de politique ultra-accommodante, les valorisations ont gonflé de manière ininterrompue pour atteindre les niveaux actuels. Pour les banques centrales, il serait désormais difficile de corriger ces valorisations sans provoquer de forte réaction de la part des investisseurs. A force de reculer, les banques centrales en auraient-elles oublié de sauter ?

Le grand écart de la place …

En tant que superviseur, la BCE est aussi un interlocuteur incontournable pour les institutions bancaires. Pour les banques, les scenarii de la BCE sont de vrais points de repère pour planifier et piloter leur activité. Pour conduire leurs exercices de planification moyen-terme et projeter leurs résultats selon différentes hypothèses macroéconomiques, les équipes ALM et Planification des banques utilisent des scenarii de taux basés sur les orientations émises par la BCE et l’EBA (European Banking Authority). En se basant sur les scenarii BCE, elles ajustent leurs positions de taux, leurs politiques ALM et in fine leurs modèles d’activité. En outre, les exercices annuels de stress test, transparence ou AQR doivent permettre à la BCE d’évaluer la solidité des établissements bancaires et de leur proposer des recommandations visant à améliorer leur solvabilité et leur liquidité. Les exigences de la BCE sur la diversité, la complexité et l’amplitude des stress vont croissant : entre 2016 et 2017, on est passé de 2 scenarii (référence et adverse) à 6 scenarii de courbes de taux testant par exemple une hausse, une baisse ou une inversion de l’allure de la courbe. Or depuis 2008, la politique de la BCE est devenue de plus en plus accommodante (sauf brièvement en 2011), ce qui a contribué à écraser les spreads et à gonfler artificiellement les valorisations. Comme si la main gauche de la BCE (supervision bancaire) et sa main droite (politique de taux) s’ignoraient superbement.

… tenable sur la durée ?

La BCE prendrait ainsi régulièrement des décisions de politique monétaire (taux, QE) en décalage avec ses exigences de superviseur. Un comportement apparemment contradictoire avec l’obligation de crédibilité d’une banque centrale telle que définie par la théorie économique. Mais à y regarder de près, ce n’est pas la première fois que la BCE s’écarte de sa lettre de mission originelle influencée par l’héritage allemand, qui est avant tout de « maintenir la stabilité des prix »2 – en d’autres termes, de contenir l’inflation. Or, depuis la crise de 2008, la BCE s’est montrée largement plus offensive sur le Quantitative Easing (rachat en masse de titres aux banques pour les alimenter en liquidité) que dans sa politique de taux, qui a principalement consisté à les maintenir à un niveau plancher pour contenir les incendies sur les dettes souveraines. Au prix d’une transgression de son mandat originel, la BCE a réussi le tour de force de sauver l’euro « quel qu’en soit le prix » au plus fort de la crise. Ce faisant, elle a aussi construit le piège dans lequel elle risque de se retrouver enfermée avec l’ensemble du système financier européen. De prêteur en dernier ressort, elle est devenue puits sans fonds. A-t-elle d’ailleurs intérêt à reprendre la main sur sa politique de taux ? Il y a fort à parier que non, et pour deux raisons. La première, c’est que l’inflation reste basse en zone euro (1,5% prévu pour 2017). La seconde, c’est que la BCE pense aussi à ses propres intérêts : en effet, remonter les taux reviendrait à rétablir la vérité des prix sur les titres qu’elle a rachetés depuis le début du Quantitative Easing, et donc à faire naître des doutes sur la qualité de son propre bilan. Elle aurait d’ailleurs intérêt à l’alléger pour réduire sa dépendance aux marchés financiers. Plus que jamais, on ne sort de l’ambigüité qu’à ses dépens.

Les scenarii macroéconomiques possibles

Les banques souhaiteraient une remontée progressive des taux courts et longs afin de maintenir un spread qui serait le bienvenu et ainsi préserver la marge de transformation de la MNI3. Si les taux directeurs de la BCE entament progressivement leur remontée, les banques vont gagner en MNI mais pour le reste, c’est le début de l’incertitude. Quels scenarii macroéconomiques envisager pour les banques européennes ?

La convergence vers une « économie-zéro » ou le scénario à la japonaise : face au niveau d’incertitude, la BCE décide (seule ou en accord tacite avec d’autres acteurs) de maintenir le statu quo du taux zéro. L’économie de la zone euro se rapproche alors de l’exemple japonais caractérisé par le fameux triptyque « inflation zéro, taux zéro, croissance zéro »… Auquel on peut ajouter « gains de productivité zéro », « risque zéro » et « rentabilité des actifs zéro ». Soit, à l’échelle de l’économie, un jeu à somme nulle dans un espace européen stationnaire. Dans ce scénario, le monde européen risquerait de se mettre de lui-même hors-jeu des vicissitudes, mais aussi des opportunités du monde économique « réel » ;

La contrainte d’une « économie zéro plus » ou la croissance molle : la BCE se montre assez habile pour remonter ses taux directeurs jusqu’à 1,5 ou 2% sans provoquer de mouvement majeur sur les marchés. Cependant, les mutations économiques en cours (économie collaborative, digitalisation, blockchain, biotechnologies, etc.) ne tiennent pas leurs promesses : la croissance et l’inflation de l’économie réelle peinent à se maintenir au-delà de 2%, contraignant mécaniquement la remontée des taux. C’est le chemin qu’ont suivi les économies britannique et américaine en 2016 lorsque la FED a engagé la remontée de ses taux directeurs. En d’autres termes, l’économie européenne renoue avec ses fondamentaux mais tourne toujours au ralenti, faute de gains de productivité suffisants ;

Un retour progressif à une politique de taux « normale », c’est-à-dire à la politique pré-crise de 2008 : la BCE accompagne le redressement progressif de l’économie en réorientant graduellement sa politique vers des taux « de marché » (i.e. reflétant le risque économique des actifs). Pour mémoire, les taux directeurs de la BCE étaient autour de 4% en 2007. Un scénario qui semblerait cohérent avec la réduction progressive du Quantitative Easing prévue à partir de janvier 20184. Cependant, l’exemple de la trajectoire monétaire américaine montre que la hausse des taux ne pourra intervenir que 3-4 ans après le début de la reprise économique, ce qui nous amène vers 2020 ou 2021… Elle devra aussi être suffisamment progressive pour être absorbable par la croissance économique qui reste fragile ;

L’impuissance de la BCE face à une nouvelle crise ou le scénario « brutal » : à cause d’un ajustement de taux violent, une des nombreuses bulles actuelles éclate – défaut souverain, Tech, dette LBO : il y a l’embarras du choix ! Selon l’enchaînement désormais connu, l’aversion au risque augmente, les spreads explosent, les valorisations dévissent, l’économie réelle est atteinte à son tour. Tous les regards se tournent alors vers la BCE, qui doit désormais jouer son véritable rôle de prêteur en dernier ressort. Elle se retrouve malheureusement avec une marge de manœuvre très limitée : les taux sont déjà trop bas pour qu’une baisse puisse faire renaître la confiance ; son bilan est trop lourd. Le piège de la « trappe à liquidité » s’est refermé. A l’évocation de ce scénario, deux questions demeurent cependant : qui aurait intérêt à jouer ce « very big short » contre la finance européenne ? Et comment les banques peuvent-elles se préparer à un tel scénario ?

Les implications pour les banques

A un tel niveau d’incertitude, comment les banques se préparent-elles à renforcer la maîtrise de leur destin ? Pour prendre des décisions stratégiques éclairées, les banques doivent exprimer et quantifier clairement leurs objectifs économiques de risques, rentabilité et croissance à moyen terme. A l’échelle de groupes bancaires, cela implique d’approfondir leur réflexion volontariste sur deux sujets :
Améliorer la résilience de leur portefeuille d’activités à un environnement incertain, c’est-à-dire :

  • revoir l’allocation entre activités relevant d’une supervision bancaire et activités non-régulées ;
  • remodeler l’architecture d’ensemble du portefeuille d’activités bancaires pour le rendre plus flexible et ainsi se garder une marge de manœuvre en cas de changement d’environnement soudain (exemple : désinvestissement d’une activité / région risquée) ;
  • conduire une réflexion sur la structure du (hors) bilan : levier, titrisation, dé-consolidation ;
  • adapter leur politique d’excellence opérationnelle à leur stratégie de portefeuille d’activités : comment renforcer l’agilité sans perdre les économies d’échelle ?

Construire un pilotage bancaire encore plus intégré pour décider mieux et plus vite : cela signifie renforcer et intégrer la gestion du bilan, à la fois sur les risques de taux et de liquidité ; mais aussi pouvoir allouer et piloter le capital en vision dynamique et cohérente sur les dimensions Business, Finances et Risques. Le renforcement du pilotage intégré est nécessaire à la fois en vision ex-post (mesure et ajustement des indicateurs) et ex-ante (planification moyen-terme, budget). Il requiert des capacités renforcées de stress-testing, modélisation et scénarisation.

Peut-on sérieusement considérer qu’un avenir reste plus certain qu’un présent et que des grands écarts sont tenables indéfiniment : quand tout cela va-t-il atterrir ? Il semble que s’ouvre une nouvelle ère économique qu’aucune théorie n’avait envisagée. Savoir répondre à cette question relève donc de la gageure. Dès lors, plus que jamais les banques renforcent leur agilité et leur résilience afin de se tenir prêtes.

Back to News