• Coût du risque, retour à la normale ou décollage ?

Actualités | 01 Mars 2023

Coût du risque, retour à la normale ou décollage ?

L’année 2022 a été marquée par une hausse graduelle de la charge de risque pour les banques françaises. Alors que le début d’année bénéficiait encore de l’effet de reprises de provision, le dernier trimestre donne une vision moins flatteuse que la simple moyenne annuelle.

Coût du risque, retour à la normale ou décollage ?

Dans une année marquée par un conflit militaire et un risque de récession, le résultat brut d’exploitation cumulé des quatre principaux établissements bancaires français affiche une progression remarquable de 5,4 % par rapport au standard élevé de 2021. Il est porté par un PNB en hausse et un coefficient d’exploitation quasi-stable. Toutefois, les résultats nets 2022 cumulés de BNP Paribas, SG, Groupe CA et BPCE sont en baisse de 13,9%. Si les pertes liées à la valeur des entités russes et ukrainiennes[1] paraissent exceptionnelles, la hausse de la charge de risque mérite un examen plus détaillé².  

Encore des reprises de provision post-covid mais une hausse de charge en fin d’année

Le coût du risque peut être appréhendé comme l’ajustement du stock de provision entre deux périodes. Il est composé des dotations nettes des reprises aux dépréciations et provisions pour risque de crédit, et des pertes sur créances irrécouvrables.

Après un renfort du provisionnement dans l’année 2020, des reprises de provision ont été ciblées sur certains portefeuilles, principalement sains, à partir du T2 2021, ainsi que sur les provisions appelées overlay, sous forme d’enveloppe forfaitaires. Il s’en suivait un coût du risque particulièrement bas en 2021, à 22pb sur l’échantillon contre 26pb en 2019.

En 2022, des reprises de provision ciblées se poursuivent (par exemple sur CA BFI, CA Consumer finance sur créances saines, BNPP CIB sur douteux, Bancwest,…). Toutefois dans un contexte de risque plus incertain, un renfort des provisions intervient sur certains portefeuilles, notamment en fin d’année. Ainsi, le montant trimestriel (annualisé x4) grimpe de 25pb au T1 (grevé par la Russie) jusqu’à 30pb au T4. Le niveau de provision affiche une progression de +22% sur celui de 2021, rejoignant à 27pb de l’encours, un niveau proche de la référence 2019. La ventilation de la hausse par métier est hétérogène entre établissements. La charge de risque sur la Banque de détail France tend à progresser à partir du T2. La BFI est affectée par quelques grands dossiers de restructuration comme Orpéa.

Quatre facteurs d’évolution du niveau des provisions

Expositions russes

Les principaux impacts de la crise russe correspondent à des pertes sur cessions d’actifs ou sur titres consolidés (environ 3,6Mrd€ au T1). Toutefois, la charge de risque est également affectée. Sur le T1 2022, les provisions couvrant les portefeuilles des activités russes et les expositions offshore représentent une charge d’environ 1Mrd€, soit 10% du coût du risque de notre échantillon sur l’année 2022[2]

Hausse des taux et ralentissement économique

Différents signaux suggèrent une remontée du risque, à nuancer. La hausse des taux est susceptible de réduire la solvabilité des emprunteurs, toutefois le stock est largement à taux fixe, et l’octroi s’est resserré sur la production nouvelle, sous l’effet du taux d’usure et des règles d’endettement du Haut Conseil de stabilité financière.  De même, l’effet du ralentissement de la croissance est atténué, alors que le chômage touche un point bas à 7,3%[3] et que les sociétés bénéficient de haut niveau de trésorerie. Leurs dépôts bancaires atteignent 854Mrd€ fin 2022 (vs 623Mrd€ fin 2019 soit un écart supérieur aux 140Mrd€ accordés en PGE).

Les procédures de défaillances (redressements, liquidations judiciaires) progressent de 48,7% sur l’année 2022[4]. Après une chute en 2020 liée aux moratoires covid et à la fermeture des tribunaux, leurs volumes étaient demeurés anormalement bas en 2021, en raison d’un vase communiquant vers les radiations volontaires. La hausse vertigineuse des défaillances en 2022 repose donc (au moins en partie) sur un effet de base. Les taux de créances douteuses demeurent d’ailleurs stables sur l’année 2022, à 2,2% sur l’échantillon étudié, et permettent en outre de cerner un périmètre plus large, intégrant les entreprises en recouvrement amiable.

Il existe toutefois des signaux de remontée des risques, justifiant la remontée des charges de risque en fin d’année. Les statistiques agrégées flatteuses ne doivent pas occulter la disparité des situations entre secteurs, ainsi que la remontée des défauts attendus sur les PGE. Certains maux de l’inflation, notamment les renégociations tarifaires d’énergie, agissent en décalage dans le temps. Par ailleurs, si les taux de créances douteuses stagnent, la part du stage 2, antichambre du défaut, progresse dans certains établissements, pouvant attester d’une résurgence de risque ou simplement de critères de transfert plus réactifs, préconisés par le régulateur[5].

L’effet des mesures covid

Les mesures de soutien liées au covid sont susceptibles de décaler dans le temps la progression des défauts. Les PGE représentent un encours résiduel en France de 98Mrd€, soit environ 4% des portefeuilles pour un taux de défaut attendu d’environ 5%, soit 3pt au-delà de la moyenne. En outre, des créances font l’objet de restructuration (forbearance) liées au covid, ralentissant leur passage en défaut. Au niveau européen, ces créances représentent environ 0,4% du stock[6]. Le rôle de soutien des autorités s’est poursuivi en 2022, par l’instauration d’un PGE Résilience visant à soutenir les entreprises affectées par la guerre en Ukraine, ainsi que le bouclier tarifaire face à la hausse des tarifs énergétiques.

Taux de couverture

Le taux de couverture[7] correspond au rapport entre les provisions et les créances douteuses. Son évolution est fonction des perspectives (forward-looking) de l’établissement et du niveau de prudence de l’établissement. Sa variation influence directement le coût du risque. Suite à la progression observée fin 2021, l’évolution moyenne sur l’échantillon est à la baisse de 2,2pt sur l’année, avec une disparité entre établissements[8].

Un enjeu d’anticipation

La bonne résilience du risque de crédit depuis la période covid – 1ère crise depuis la mise en oeuvre d’IFRS 9 - souligne les progrès des banques sur l’ensemble de la chaîne de crédit, l’impact des réglementations mais aussi l’effet des mesures d’aide.

L’année 2022 est marquée par une hausse graduelle de la charge de risque. Alors que le début d’année bénéficiait encore de l’effet de reprises de provision, le dernier trimestre donne une vision moins flatteuse que la simple moyenne annuelle.

L’enjeu pour les établissements désormais demeure la capacité à anticiper l’évolution des variables de risque, en particulier la dimension forward-looking des modèles de provisionnement.

 

Article rédigé par Renaud Pin, Conseil aux institutions financières - Principal chez Ares & Co, et publié dans le n°878 de mars 2023 de Revue Banque

 

[1] SG : perte nette liée à la cession des activités russes (3300M€), BNPP Dépréciation Ukrsibbank et recyclage de la réserve de conversion (433M€)  

[2] Montants identifiés sur communiqués T1 2022 : SG 354M€ (dont filiale en cours de cession 136M€, dont offshore 218M€), Crédit Agricole Group 584M€ (dont 389M€ en Russie, 195M€ en Ukraine en spécifique), BPCE 69M€ (sur contreparties russes et ukrainiennes)

[3] Source : Insee, T3 2022, chômage au sens du BIT, population active en France (hors Mayotte)

[4] Banque de France, Suivi mensuel des défaillances, Décembre 2022

[5] IFRS9 Monitoring Report, novembre 2021, paragraphes 37 à 43

[6] ECB publishes supervisory banking statistics for the second quarter of 2022, 48Mrd€ sur un total d’environ 15 Tn€ de créances en Europe

[7] Définition du taux de couverture : dépréciations stage 3 / encours dépréciés (stage 3), bilan et hors bilan, nettés des garanties reçues

[8] Effets méthodologiques sur taux de couverture : application du nouveau défaut, norme IFRS16

 

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